Blasons
© DR / Le Point V
« Cette morsure chaude et animale réveille en moi un appel cannibale. »
« Une main agrippe tes cheveux. L’autre empoigne ton cul si délicieux. »
Inspirées par la liberté de ton des écrits de la célèbre poétesse Louise Labé, nous proposons avec ce texte une exploration poétique et érotique du corps masculin.
Dans une forme libre, il donne une réponse contemporaine à l’exercice du blason, ce type de poème à la mode au 16e siècle et qui consistait à faire l’apologie d’une partie spécifique du corps.
À chaque paragraphe correspond donc une partie du corps : des yeux aux oreilles, en passant par les bras, le torse ou encore les cuisses.
Texte lu à voix haute durant l’événement Louise Labé et la poésie d’amour au féminin, au programme du Printemps de la Poésie 2023, le mardi 28 mars.
Yeux
Écho qui me prend par surprise. Il rebondit dans mon bas-ventre, à cet instant où nos regards se croisent.
Un instant comme un autre.
Là. Vous avez senti ?
Oui, voilà, un instant comme ça.
À cet instant, semblable à tous les autres, mon regard attrape le tien, ou l’inverse ; en tout cas ça accroche, ça frictionne, ça chauffe si fort que ça fait des trous dans l’étoffe de l’espace-temps.
Je me faufile dans cet accroc, traverse la trame caressante de ton sourcil, trouve repos dans le repli de ta paupière. Appel du vide face à l’étendue noire de ta pupille. Je me laisse glisser sur les fils de chaîne de tes cils afin de contempler l’abîme.
À cet instant, on tisse un ouvrage à quatre yeux.
Bras
Du bout des ongles je tisse le contour
des veines de tes avant-bras.
Saillantes nervures, chemins bleutés.
Ça roule mou, ça m’amuse.
Je repense aux jeux d’enfants.
Nous fermions les yeux.
Nos doigts remontaient en cercles
du poignet jusqu’au creux
du coude. D’un coup
nous arrêtions le geste de l’autre.
Là, tu y es. Et nous retirions notre bras.
Le tien reste. J’en profite.
Je croque comme dans un fruit
Je pince de mes lèvres un rouleau de peau
On en mangerait.
Bruit de succion imprévu
On rit.
Aujourd’hui
pas de chatouilles
je veux qu’une onde profonde
parte de là et balaie tout ton corps.
Soudain tes bras m’enserrent.
Tes mains me prennent.
Ton murmure dans mon oreille.
T’es tellement excitante
Je me sens soulevée
Et dans le miroir j’aperçois notre étreinte…
Fesses
Je me délecte de notre étreinte miroitée
Ma tempe collée contre la tienne.
Je nous observe par-dessus ton épaule
Mes pieds retouchent le sol, vite
Tu voudrais t’allonger, je veux encore regarder
Actrice de mon propre spectacle
Je veux te brusquer, un peu
Une main agrippe tes cheveux
Et tire, un peu
L’autre empoigne ton cul si délicieux
Tes genoux fléchissent, un peu
Mes doigts glissent sur ton derrière zébré
Parcourent les sillons cicatrisés
D’une jeunesse révolue
Je touche ces lignes de vie
Soudain, traversée d’un éclair de désir
Je le fais claquer sur tes fesses
Maintenant rouges de mon zèle
Dans le reflet
© Laura Stevens
Épaules
Feutrées par le reflet de la lumière,
tes clavicules se dessinent dans un jeu d’ombres
elles affriolent mon regard.
En haut de ton buste nu, des vagues suspendues,
retenues aux extrémités par des muscles fermes,
faisceaux tendus que je fais vibrer.
Je te bascule sur le lit,
tu m’emportes dans ta chute
et te places au-dessus de moi.
J’empoigne tes épaules,
elles s'impriment dans la paume de mes mains.
je sens leurs contractions pianotant au rythme de tes mouvements,
j’admire leur relief, elles frissonnent de plaisir….
Torse
Mes doigts me brûlent d’effleurer le relief
De la peau tatouée de ton torse
Que tu offres à mon regard fasciné
Au milieu de ton sternum
Un rond bleu nuit
Densité d’éclipse de lune
D’un geste lent sans ciller
Tu fais mine d’enfoncer ton poing
À l’intérieur de ton trou noir
D’innombrables lignes
S’en échappent
Je les suis du bout du doigt
Des symboles incandescents
Prisonniers de cette constellation indéchiffrable
Gravitent sur tes pectoraux
Mon index fébrile se perd
Aux intersections renflées
Des gravures sur ta poitrine
Je lui ai demandé d’appuyer fort
Pour que ça laisse des cicatrices
Me lâches-tu dans un souffle
Cheveux
Ton souffle enlace mon visage. On n’entend que le froissement doux de ta chevelure entre mes doigts.
Tu restes silencieux, tout ton être recroquevillé dans la prison rassurante de son refuge de chair. Dans ces moments, je pourrais te secouer tout entier jusqu’à faire sortir tes pensées par tes oreilles. J’aimerais écouter le secret de tes fantasmes. Murmure-les pendant que ta joue râpe contre la mienne. Je veux sentir ma peau piquée par tes poils drus, par tes vérités nues.
En attendant ta tête repose sur ma poitrine, tes longs cheveux étalés – halo d’un soleil noir – chatouillent ma nuque pendant que je les peigne. Lent démêlage qui vient ourler ton mutisme nocturne.
Cuisses
Blotties dans les ourlets de tes cuisses
tes fragilités se découvrent
tes désirs se fractionnent
sous mes doigts
Qui du genou à l’aine glissent
défont les renforts et
déflorent le grain de ta peau
sous tes poils
Mais tes cuisses se barricadent encore
bordées d’impassibles résistances
nervées d’inutiles puissances
de mes lèvres
Alors je redouble le parcours
irrigue tes contours de salive
à mes papilles confie les rives
de ta fièvre
Elles tanguent
tes cuisses enfin décousues
Et ma langue
n'à qu’à suivre le fil de tes râles
Pénis
Dans l’alcôve de tes cuisses
Le fil de mon désir s’alanguit sur des coussins jumeaux
Tiédeur moite
Velours musqué
Et au milieu
Le membre indolent.
L’harmonie tendre qui s’étale sous mes yeux
Triptyque de chair en camaïeu
Inspire la délicatesse.
La pulpe de mes doigts épouse les courbes molles
S’insinue dans les replis
Pour guider jusqu’à mes lèvres
Le pénis endormi.
Nos peaux
Fines et fragiles
Se rencontrent
Coulissent
Et ma langue découvre le bout lisse
Qu’elle baisera patiemment.
Petit à petit, le plaisir enfle
Il perlera bientôt
Aurore liquide
Sous la pression de mes papilles…
Bouche
D’un geste pressant
Tu mets ta main sur ma nuque
Et fais remonter ma tête
Jusqu’à ta bouche avide
Ta langue vient cueillir
Entre mes lèvres
La saveur sucrée
De ta propre sève
Après ça tu sais
Que tu n’as même pas besoin
De mouiller ton doigt
Pour me toucher
La valse effrénée de nos langues
S’interrompt dans un sourire de malice
Qui me dit
J’ai soif de toi
Rien ne vaut ta bouche
Quand elle laisse sur mon corps
La trace de ton ivresse qui déborde
Ventre
Traces froissées dans le lit
Vallons de tissu
Qui séparent ton royaume nocturne
Du mien
Je me colle contre ton corps allongé
Le bassin contre tes reins
Je pose mes doigts sur ton nombril
Anémone de poils soyeux
Presse ma paume contre la douceur
De ton ventre mou et bombé
Le soulèvement régulier s’accélère
Ton corps se rapproche de lui-même
Tu t’arrondis dans cette posture latérale
Régressive et rassurante
Enroulement de ton bourrelet
Repli de plaisir anticipé
J’effleure ta verge dure
Toi aussi, t’en as envie?
La partie sera tendre.
Cou
Sur la chair tendre de ton cou, une légère marque de dentition
timides incisives, canines bien définies
Cette morsure chaude et animale
réveille en moi un appel cannibale.
J’engouffre mon nez
hume ton odeur – résiste.
J’entrouvre mes lèvres,
pincement – non pas encore.
Je colle ma joue, m’embaume de ta sueur
perte de contrôle,
je te mords, encore.
Les tonalités graves de tes râles m’excitent,
j'écoute, attentive, leur modulation,
mon plaisir en épouse les variations.
Le rythme s’accélère, tes coups de reins s'amplifient,
Mon corps se plie, mes jambes à ton cou,
bruit bestial…
© oh_de_laval
Oreilles
Le pliage géométrique de tes oreilles,
L’orée d’électriques supplices
Dont les répliques chavirent ton corps
Jouissons-nous l’un de l’autre à notre aise
De ma main j’
effleure tes ravines
ravive tes frissons
frémis tes certitudes
De ma bouche j’
embrase ton pavillon
pave ton envie
déçois ton attente
Le pliage galbé de tes oreilles
Le calice d’infinies suppliques
Qui se sont succédées cette nuit
Baise m’encor, rebaise-moi et baise
Au creux de tes oreilles
je trouve un refuge éphémère
Le creux de tes oreilles
héberge l’aveu de mon coeur
Mon amour
Je ne serai plus Echo.
– FIN –